Consultation sur la situation économique et financière 2023 de France travail suite au Comité Social Economique Culturel (CSEC) du 11 et 12 septembre 2024. Observations, constats, avis et voeux exprimés par les élus FO au CSEC en application de leurs attributions légales après la présentation du rapport d’expertise par le cabinet APEX-ISAST
Observations préalables sur le budget :
Le budget de France Travail est en trompe l’oeil.
S’il progresse de 412 millions d’euros entre 2022 et 2023 cette progression mécanique est due principalement à 2 phénomènes :
– la contribution UNEDIC (+ 409,7 millions d’euros en 2023, + 486,4 en 2024)
– la subvention de l’Etat (+129 millions en 2023 et + 94,5 millions en 2024)
Sur cette dernière il est utile de rappeler que les 1,3 milliards d’euros de subvention d’Etat sont à mettre en perspective de l’engagement pris lors de la création de Pôle emploi : verser au moins 1,5 milliards d’euros par an. En euros constant sur la période 2010 à 2024, avec 26.3% d’inflation cumulée la subvention 2024 ne représente en réalité plus que 984 millions d’euros.
Cette année encore le résultat de France Travail est en « déficit », de 120 millions d’euros, déficit organisé en l’occurrence.
Constats effectués :
Une prise en charge des missions de l’Etat sur fonds propres de plus en plus importante
Alors que les financements étatiques diminuent globalement (dotation et financements particuliers), le budget propre de France Travail participe de plus en plus au financement des interventions relevant normalement de budgets spécifiques (PIC, PACTE….).
Ainsi les hausses budgétaires globales de 2024 seraient pour moitié absorbées par ces dépenses d’intervention.
Dès lors la capacité d’investissement diminue tout comme l’agilité de la structure et sa capacité à recomposer une trésorerie.
Le développement de la sous-traitance
Il est à noter que la politique d’intervention de France Travail consacre une part croissante de son budget à la sous-traitance, passant de 19% en 2021 à 28% en 2024.
Si certaines opérations de sous-traitance sont justifiées (parcours emploi santé) puisque notre institution ne possède pas les savoir-faire nécessaires, la plupart des activités sous-traitées pourraient être réalisées par les collègues, et de surcroit de manière plus économique.
Le renforcement financier de l’accompagnement cache surtout une hausse sensible de la sous-traitance.
Les réorganisations de travail et les nouvelles missions se font à moyens constants et amènent une hausse de productivité, dont l’impact sur les salariés n’est pas mesuré
Une part importante de nos nouvelles missions confiées par l’Etat (MET, BRSA, …) ne sont réalisées que par le biais de réallocation de personnels. Ainsi, la charge de travail s’en trouve augmentée.
De ce fait, la capacité en termes d’accompagnement interne « classique » accuse quant à elle une baisse de 67 millions d’euros.
La productivité a également augmenté par la digitalisation des services et par l’effet de la réduction de la durée des entretiens ce qui a permis d’absorber la hausse sensible du nombre d’entretiens réalisés. Ceci peut avoir un impact sur la nature et la qualité du service rendu.
L’investissement dans des actions d’entretiens et d’accompagnement collectifs pèsent de plus en plus fortement budgétairement et se réalisent au détriment du budget consacré à l’accompagnement individuel. De plus, ces modalités de réception et d’accompagnement n’ont nullement fait preuve d’une plus grande efficacité.
L’investissement est moins important dans le traitement de l’offre et plus dans des mesures d’accompagnement d’adaptation à l’emploi. De même on constate un glissement vers des financements auprès des entreprises au détriment des demandeurs d’emploi.
Ceci ne fait que confirmer le constat de la DARES sur la période 2017-2022 où il est constaté que :
– la part des dépenses prévues pour les aides à l’embauche représente 49% des dépenses globales en faveur de l’emploi et du marché du travail
– le retrait des financements de la formation
– l’accompagnement des personnes en recherche d’emploi ne pèse plus que 4% du budget globale en faveur de l’emploi et du marché du travail.
Dans les annonces d’un renforcement budgétaire global de 300 millions d’euros pour accompagner la Transformation la part consacrée aux effectifs ne représente que 26 millions
Une évolution de la masse salariale « trompeuse »
La campagne promotionnelle et l’ancienneté sont couvertes par l’effet Noria (un agent qui part en retraite avec une certaine rémunération remplacée par un agent à plus faible rémunération). Le coût d’un CDD baisse même.
La composition de la rémunération se transforme avec une part de plus en plus importante des éléments variables (primes par exemple) et indemnitaires. La part du salaire de base se tasse.
Dans les annonces d’un renforcement budgétaire global de 300 millions d’euros pour accompagner la Transformation la part consacrée aux effectifs ne représente que 26 millions.
Une transformation par l’IA qui représente un risque RH certain
L’utilisation de l’IA entraine une transformation de l’activité en soi, qui vient se superposer en l’occurrence à la Transformation de France Travail telle que prévue par la loi Plein Emploi.
L’IA est même un outil central de la Transformation par les attentes qu’elle lève afin de dégager du temps et même redéployer des moyens internes. Or il n’est pas acquis que ces attentes aboutissent à une réelle capacité de redéploiement des effectifs. En aucun cas elle ne peut justifier une quelconque baisse d’effectifs.
Dès lors le risque est important de réitérer l’erreur commise au travers de la GPEC et particulièrement du dossier « Trajectoire GDD » en réorientant les activités et les effectifs sans constater effectivement une baisse réelle de l’activité au travers de la dématérialisation d’actes professionnels
Un objectif carbone qui sera difficilement atteignable
Concernant le bilan carbone de France Travail, il apparait que l’établissement a bien utilisé les leviers à sa disposition. Néanmoins ces mêmes leviers représentent aujourd’hui une part très minoritaire de la capacité à atteindre l’objectif fixé. En effet l’essentiel de l’impact environnemental de France Travail est lié à son usage du numérique qui est réalisé par des partenaires de France Travail.
Avis et voeux de FO :
Sur un plan politique tout d’abord, il est urgent de donner à l’institution un budget adapté à ses missions, ses enjeux, au travers en particulier d’effectifs largement revus à la hausse (comme le rapport du Préfigurateur Haut-Commissaire à l’Emploi l’indiquait d’ailleurs).
Toute baisse d’effectifs à venir serait une volonté délibérée de mettre en difficulté l’institution dans la réalisation de ses missions et qui positionnerait les agents de France Travail dans une situation inacceptable de charge de travail, celle-ci étant déjà disproportionnée malgré l’absence d’outils de mesure.
Concernant notre avis 2023, nous constatons par ailleurs qu’il n’y a pas d’évolution méthodologique de la part de la Direction Générale sur la mesure de charge de travail. De même la rationalité de l’affectation des effectifs au regard de la charge n’a pas fait l’objet d’évolution. De plus, la méthode Opéra, seul outil opérant actuellement sur le sujet, parait obsolète.
Toutes les nouvelles missions qui incombent à France Travail dès à présent et à l’avenir, que ce soit à son titre ou à celui de sa contribution dans l’écosystème du Réseau pour l’Emploi, doivent faire l’objet de financements propres, adaptés, permettant d’adapter justement les effectifs.
FO alerte sur la propension d’autofinancement de prestations relevant de financements particuliers. Dans un ensemble financier indéterminé jusqu’à la construction budgétaire, cet autofinancement finira inéluctablement, et ce qu’elle soit la fongibilité ou infongibilité des différentes sections budgétaires, par une pression sur la masse salariale de l’établissement et donc sur la juste évolution de la rémunération des effectifs.
La Direction Générale doit désormais s’engager dans une vraie politique de mesure des impacts des différents domaines de la Transformation, en particulier en termes RH mais aussi en termes de conditions travail et de risques pour la santé des agents.
FO demande à suivre l’effectivité et l’efficacité des programmes faisant l’objet d’actes métiers sous-traités. La Direction de Pôle Emploi devra revenir régulièrement en instance pour faire part de bilans opérationnels et économiques de ces programmes.
Ainsi il est souhaitable fin 2024 d’avoir une vision sur le coût réel de l’accompagnement rénové des BRSA que cela soit par les prestations mobilisées désormais pour ce public, les effectifs consacrés à cette mise en oeuvre et à la réception du public qui viendront s’ajouter bien sûr aux budgets consacrés à la levée des freins périphériques.
Pour FO il n’est pas utile que le budget de France Travail vienne en soutien des aides aux entreprises au regard de la part importante que ces aides représentent déjà dans les politiques de l’Etat en faveur de l’emploi et du marché du travail.
La Direction doit changer d’approche dans le développement de l’IA. La première étape de l’IA est le dialogue social, étape préalable absente actuellement, et un échange avec le CSEC sur l’opportunité de l’utilisation de l’IA tout comme la construction d’indicateurs de maitrise et de suivi. En effet celle-ci doit être envisagée comme un soutien à l’activité et à la prise de décision et non dans une recherche de productivité afin de réduire les effectifs comme cela semble plus le cas désormais.
La pression que l’établissement exerce sur ses agents sur la question environnementale devra être repondérée au regard du fait que les décisions qui permettront désormais l’atteinte du résultat carbone ne relèvent pas d’actes quotidiens ou organisés de la part des agents mais de la stratégie partenariale de l’établissement dans le domaine numérique.
Il conviendra régulièrement de faire un point en instance sur le budget consacré globalement à la Transformation et ses différents programmes. Cette transformation ne peut avoir pour objet d’affaiblir la trésorerie et la capacité d’investissement et d’autofinancement de France Travail.
Enfin, nos voeux exprimés en 2023 concernant le dialogue social autour de cette consultation restent entiers et toujours d’actualité.
Paris le 17/09/2024