Un piège à éviter pour les managers
Depuis longtemps maintenant, et comme beaucoup d’entreprises le font par ailleurs,
Pôle emploi tente de substituer la notion de « collaboration » à celle de « salariat ».
Ce tour de passe-passe n’est pas aussi insignifiant qu’il n’y paraît et il mérite qu’on s’y attarde. En effet, en matière de management, un changement d’appellation n’est jamais anodin.
Pas de semaine sans qu’on ne parle de performance par la confiance, de démarche participative, de travail collaboratif… Ces notions ont longtemps été rejetées par les entreprises qui ne juraient que par le management pyramidal, où la décision prise tout en haut par quelques-uns ruisselait sans être discutée vers les étages inférieurs jusqu’aux exécutants qui ne vendaient que leur force de travail en contrepartie d’une rémunération.
Mais cette nouvelle forme de relation de travail telle qu’elle est souhaitée aujourd’hui suggère que les attendus de la part des salariés sont désormais différents dans la mesure où ils partageraient un intérêt commun et une responsabilité conjointe avec la Direction dans la réussite de l’entreprise. C’est pourquoi la plupart des textes et accords regorgent de notions de « co-construction », « de culture d’entreprise », « d’ADN commun », « d’engagement », « de confiance réciproque », « d’autonomie » et de « reconnaissance ».
Ce terme de « reconnaissance » traduit une modification substantielle de la relation de travail :
Le salaire n’est ainsi plus entendu comme un dû en contrepartie d’un travail fourni tel qu’inscrit dans le contrat de travail mais comme une marque de reconnaissance individuelle qui ne fait dépendre son évolution que de la seule capacité du collaborateur à être méritant !
D’où des dérives à l’origine de distorsions dans les rémunérations incompréhensibles pour le commun des mortels…
Or, le contrat de travail est la façon la plus efficace de garantir collectivement une équité des traitements entre collègues ayant des niveaux de qualification ou des postes équivalents.
Désormais, en transférant, en façade tout au moins, de plus en plus de responsabilités à ses salariés élevés au rang de « collaborateurs supposés autonomes », l’entreprise les met en compétition les uns avec les autres dans le but d’obtenir cette fameuse « reconnaissance » individuelle.
Elle s’autorise alors à exiger d’eux un engagement personnel total, et quasi permanent s’il s’accompagne de responsabilités managériales ou non.
Le collaborateur doit mobiliser toutes ses ressources au service de l’entreprise, s’identifier à elle, et adhérer sans contestation possible à l’ensemble de sa stratégie dont il doit par ailleurs devenir le meilleur des promoteurs.
Un collaborateur méritant doit être… « corporate » !
Mais pour qualifier cette capacité à avoir un « comportement d’entreprise » la hiérarchie doit nécessairement faire une évaluation comportementale, bien souvent à la limite de la légalité. Ainsi, on passe insidieusement de l’analyse du comportement à celle de la personnalité, avec l’introduction de la notion de « soft skills », ou savoir-être, qui sont devenus des incontournables des évaluations lors d’un EPA par exemple, au détriment des « hard skills » (Savoir-faire) directement liés à l’exécution du travail.
La notion de « soft skills » est difficilement mesurable car elle est bien souvent tributaire d’une appréciation subjective de la part de l’évaluateur, construite sur sa propre expérience, son vécu et ses valeurs.
Les qualités et les dispositions naturelles que nous possédons à priori toutes et tous, à des degrés divers, telles que la capacité à vivre et travailler au sein d’un groupe social, à accepter et faire accepter le changement, à prendre des risques, à innover…etc, deviennent pourtant des attendus qui se transforment en objectifs par nature impossibles à quantifier de façon objective.
Ces « soft skills » ne sont pas standardisés mais sont formatés selon les besoins spécifiques de l’entreprise, et ils dépassent très largement le périmètre d’une relation de travail et des obligations contractuelles des salariés.
Si auparavant les seules contraintes qui pesaient sur les épaules des salariés n’étaient que physiques, et consistaient à venir effectuer des tâches définies au sein de l’entreprise, elles envahissent toujours plus l’espace mental du « collaborateur » jusqu’à entrer dans son espace privé avec le développement du télétravail et des nouvelles applications permettant une connexion 24/24 et 7/7, du moins pour certains managers à qui on donne à croire qu’il s’agit là d’un marqueur de leur engagement professionnel.
Comme nous l’avons vu, ce n’est plus seulement la quantité et la qualité du travail que l’entreprise va chercher à évaluer aujourd’hui, mais les qualités personnelles mises en œuvre pour le réaliser ; C’est pourquoi il est nécessaire de cacher, comme la poussière sous le tapis, les dépassements horaires dont beaucoup d’entre nous se rendent coupables.
Après tout, comme l’affirme la Direction, si des salariés travaillent bien au-delà du raisonnable, c’est seulement parce qu’ils sont consciencieux, responsables et non pas du fait d’une charge de travail humainement insupportable ! Des objectifs immatériels protéiformes, des évaluations individuelles subjectives, ne sont pas les seules difficultés engendrées par cette nouvelle forme de management participatif. En effet, les salariés doivent de plus faire face à de constantes mutations des métiers et des organisations, qui résultent d’une stratégie visant à créer un environnement incertain et anxiogène dont le but serait de développer « l’agilité » des collaborateurs. Toutefois les conséquences de cette atmosphère de travail, propice hélas au harcèlement moral, conduit à l’épuisement professionnel, de tous les salariés soumis à la pression des résultats, des employés aux managers en passant par les techniciens et les agents de maîtrise ; où chaque échec professionnel se transforme en un échec personnel vécu comme la conséquence de sa propre insuffisance plus qu’à l’effet de pressions extérieures. Et c’est cet argument que mettent en avant les DRH pour se dédouaner de leur propre responsabilité.
Tous les salariés de Pôle emploi, et surtout les managers, sont susceptibles de se voir opposer l’arme massive de « l’insuffisance professionnelle » qui peut s’abattre à tout moment sur leur tête. Ils deviennent ainsi les seuls responsables de leur non-employabilité ou de leur non- évolution de carriére qui devient une sorte de « maladie » d’un collaborateur pas assez responsable, pas assez engagé.
Certaines organisations syndicales n’ont pas hésité à franchir le pas et sont tombées dans ce piège mortifère qu’elles ont elles même contribué à construire. Elles se complaisent désormais dans ce rôle de « partenaires» co-responsables avec la direction qui les flatte du titre de « facilitateurs sociaux », sans mesurer à quel point il est antinomique avec la défense des droits et des intérêts de leurs collègues.
Il est indispensable que nous ouvrions les yeux et que nous ne soyons pas dupés par le vocabulaire managérial à la mode
Tout collaborateur reste un salarié, subordonné à une hiérarchie à qui seule incombe la responsabilité de l’atteinte des objectifs, un salarié dont la seule obligation reste de fournir sa force de travail en contrepartie d’une rémunération équitable, fixée dans un cadre législatif et conventionnel.
Seuls des syndicats indépendants, comme FO revendique de l’être, peuvent garantir vos droits quelque soit votre cadre d’emploi.
FO défend les droits de tous les salariés, employés, techniciens, agents de maîtrise et cadres
Du 13 au 23 novembre 2023 : Votez et faites voter FO
Paris, le 13 octobre 2023